Un dimanche tout à fait comme les autres. Au rendez-vous,
le soleil jette une belle lumière dorée dans la pièce. Sur le comptoir de la
cuisine, le percolateur achève de mijoter dans un long gargouillement
sonore. L’arôme du café se répand
partout dans la maison. Assises l’une en face de l’autre en suivant un rituel
établi depuis longtemps, mon amoureuse et moi parcourons tantôt distraitement,
tantôt plus attentivement, les divers cahiers de La Presse du dimanche.
Dans son pyjama bleu en finette aux petits
dessins de Noël, elle feuillette avec un intérêt évident le tabloïd des Sports.
Tout y passe : des résultats de la veille aux commentaires sur les
événements passés ou à venir. Quant à moi, un tantinet débraillée dans mon
grand pyjama à carreaux rouges sur lequel il manque toujours un bouton – … par
sa faute, sa très grande faute … - je n’ai que l’embarras du choix sur ce qui
reste à lire.
-
Tabarnouche! Ça s’peut-tu :
être aussi épais? dis-je à moi-même en lisant la nouvelle.
-
Qui ça, mon petit coeur? me
demande-t-elle sans même lever les yeux vers moi.
Comme des milliers de gens de notre
hémisphère depuis le début de cette guerre, mon amoureuse n’écoute ou ne lit
plus les nouvelles qu’avec un certain recul.
Non pas qu’elle dorme au gaz comme penserait l’autre, mais plutôt parce
qu’elle est convaincue que le fait de prendre ses distances face à l’horreur
quotidienne immunise sa santé mentale contre les dépressions.
- Ben! les Américains,
c’t’affaire!
C’est vrai qu’au menu du jour, ce
matin-là, pour déjeuner ce sera donc une
omelette Western avec un café Bagdad ... En tout cas, jamais on aura mangé autant d’omelettes
baveuses depuis que les Américains font du tourisme en Irak!
C’est à croire qu’ils le font exprès! Sans
aucune retenue, au volant de leurs VTT et de leurs deltaplanes,
ces jeunots-là écrasent tout sur leur passage : des civils irakiens, des
alliés kurdes ou encore des journalistes étrangers. Mais qu’ils s’entre-tuent à
coups de freezbe par des tirs fratricides accidentels, ça c’est le boutte du
boutte … ! Dieu soit loué! La guerre est
pratiquement terminée … ! Il est à peu près temps!
Certes, je garde pour moi ces profondes
réflexions en laissant tomber le journal sur la table. L’heure est venue de
servir une autre tasse de café. En passant derrière elle, je m’arrête un moment
puis écarte doucement le haut de son pyjama pour y déposer un baiser. Un geste
qu’il m’arrive souvent de faire. Or qui n’aime pas ça sentir son amoureuse
frissonner sous le souffle d’un baiser échappé délicatement dans son cou? Un privilège qu’on prend trop aisément pour
acquis en oubliant de dire merci pour ça!
- Sais-tu quoi?
- Non!
- Rien!
Bah! A-t-elle vraiment besoin de savoir que les militaires
américains s’en retourneront chez eux avec des souvenirs de guerre pillés dans
les palais présidentiels? Certes,
j’aurais tellement aimé qu’elle imagine la tête que feront leurs épouses
ou leurs blondes lorsqu’elles les verront arriver avec des … cendriers à l’effigie de Saddam Hussein ou
encore, des bébelles genre arabe produites aux temps des Mille-et-une
nuits! Enfin, surtout qu’elle espère
avec moi qu’ils ne confondront pas leurs trophées avec les belles
Irakiennes qu’ils seraient tentés de violer avant de quitter le pays, par
exemple.
-
Pourquoi je les lirais, moi, les
nouvelles? me dit-elle à la blague, ce
matin-là. Je sais que tu vas m’en faire le compte-rendu détaillé avec en prime
toute l’analyse nécessaire.
Avec toute l’émotion nécessaire, aurait-elle aussi pu
dire. Mais au fond, elle a raison.
Est-ce si important que ça qu’elle ait ou non les mêmes inquiétudes et les
mêmes angoisses que moi ?
La vie est courte. Et qui sait si demain, l’ange et l’oiseau que
nous sommes auront encore les ailes assez solides pour voler au-dessus d’un nid
qu’on aurait dû appeler aujourd’hui bonheur? Comprenez-vous pourquoi il est urgent
d’apprendre à exprimer notre gratitude sur-le-champ?
Et cela toutes les fois que l’occasion se
présente.
Au plaisir
Denric xxx
Chronique écrite dans Ô'Zelles
Chronique écrite dans Ô'Zelles
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