lundi 27 mars 2017

Fait d'hiver et deux petites soeurs


C'était au temps de la Guerre froide 

Dans la lointaine Abitibi, ce souvenir d'enfance remonte il y a longtemps.  C'était en plein hiver. À l'époque,  nos parents, fort occupés à nourrir et faire vivre la maisonnée, hébergeaient des pensionnaires d'origine italienne. Ces chambreurs, comme les appelaient nos parents, occupaient les chambres de la maison principale. Ces immigrants travaillaient à la construction d'un radar probablement militaire, car ce devait être au début de la Guerre froide. Et étaient vraiment très gentils avec nous. 

Raison pour laquelle trois petites sœurs, dont moi-même, ma petite Didi et entre nous deux, une autre soeur, devaient coucher dans le même lit.  Heureusement! Car nous  serions bien mortes de froid puisque les clous sortaient des murs en se couvrant d'une couche de glace, et faisaient en sortant de leurs trous, un bruit si assourdissant dans nos petites oreilles qu'on aurait dit des explosions.

Or, dans cette chambre située un peu en retrait des pièces principales,  jusqu'à quel point est responsable une enfant de six ans et demi,  qui certains soirs pendant un hiver, tapait sa petite soeur d'un an et quelques mois sur  les fesses  jusqu'à ce que cette dernière se mette à pleurer.  
Et chaque fois que cela  se produisait,  l'enfant de six ans et demi prenait sa petite soeur dans ses bras, et la serrait très fort contre elle  pour l'embrasser et la  consoler.  Aussitôt, la petite soeur cessait de pleurer,  c'était au tour de la grande soeur d'être secouée par des sanglots. Puis les deux soeurs s'endormaient, la petite dans les bras de la plus grande.    
Inutile de dire à quel point, aujourd'hui, cette grande soeur ressent une  immense culpabilité et d'infinis regrets. Surtout  chaque fois que ma petite soeur devenue grande aujourd'hui fait remonter ce mauvais souvenir à la surface.  C'est bien pour dire à quel point ma petite soeur aurait peut-être  pu avoir été traumatisée par le geste injuste et malheureux que je lui faisais subir, ignorant évidemment les conséquences.   

Cependant pour conclure cette triste histoire difficile à imaginer,  il faut rappeler qu'il n'y avait de ma part ni cruelle ou méchante intention, encore moins de perversion quelconque derrière ces mauvais traitements.    

Mais un fait demeure.  Quelques années plus tard, la grande soeur qui venait d'avoir neuf ans n'a-t-elle pas serrée dans ses bras, sa petite soeur de nouveau contre elle afin de l'empêcher de se faire mal, un jour de printemps, en tombant du haut en bas d'une plate-forme (de garage en construction), après avoir été poussées méchamment par une autre soeur?     En outre, n'est-ce pas pour avoir protégé sa petite soeur, que la grande s'est blessée à une jambe qu'elle a bien failli perdre par la suite. Mais ça, c'est une autre histoire.
Au secours! Messieurs-dames,  les psychiatres,  les psychologues,  les neuropsychologues et pourquoi pas, les hypnotiseurs, bienvenue dans nos âmes enfantines! 
Écrit 12 février 2017
1re  mise à jour:  17 février 2017

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L'homme au regard qui me hantait 


Sans doute un peu avant,  le même hiver, il m'était arrivé un événement que j'ai toujours gardé secret pour n'en n'avoir jamais parlé à mes parents.  Ce jour-là,  je jouais dehors avec mon traîneau près de la voie ferrée. 

Puis tout à coup est apparu près de moi, un homme que je n'avais pas entendu venir   tellement j'étais absorbée par mes glissades. J'ai sans doute été surprise mais peu méfiante. Lorsqu'il s'est approché de moi, il m'a fait asseoir sur mon traîneau et m'a  fait faire un petit tour dans la neige.  L'endroit était désert à ce moment-là de l'après-midi.   

Soudain, il s'est arrêté, m'a remis une tablette de chocolat, puis s'est penché vers moi pour glisser sa main dans mon entre-jambes.  Aussitôt,  il est reparti brusquement sans faire plus de vague,  et m'a laissé seule assise sur mon traîneau. 

Tout cela m'a fait tellement  bizarre que sur le sur le fait, je n'ai pas trop réalisé ce qu'il m'arrivait. À six ans et demi, surtout à cette époque, on ne pouvait pas vraiment comprendre ce genre de chose.  Bref, le temps a passé par-dessus ce sombre nuage qui s'est finalement estompé dans le tumulte de nos petites vies d'enfants.  

Néanmoins,  de temps à autre, ce devait être mon imagination sans doute, mais j'avais l'impression de reconnaître le visage de cet étranger parmi celui des autres hommes qui se tenaient souvent debout, sur la galerie devant le fameux magasin général, La Baie d'Hudson, situé à l'intersection des deux rues principales.   

Ce n'est qu'au printemps venu suite à cet hiver-là,  que la réalité m'a rattrapée. Les rayons du soleil  réchauffaient l'atmosphère. Et les badauds, les lumberjacks, ainsi que les nombreux Amérindiens, autant hommes que femmes,  toujours debout ou assis sur la galerie de La Baie d'Hudson,  en profitaient pour fumer et se raconter des histoires. 

Or, un jour de ce printemps-là, j'eus le choc d'apercevoir l'homme au traîneau qui me scrutait à travers les rayons du soleil. Brutalement, la peur au ventre s'est remise à me cisailler les entrailles.  Et cela dura plusieurs mois, où je devais organiser mon passage à cet endroit précis afin de me faufiler,  accompagnée de plusieurs enfants de mon âge et de petits amis pour me protéger de ce regard qui semblait me chercher ...   

Encore une fois, je ne me souviens plus de la suite, mais je crois bien que le lumberjack  en question a fini par s'évanouir dans la nature, car je ne l'ai plus jamais revu. 

Et je ne me souviens même pas de quelle façon,  j'ai bien pu gérer ce lourd secret  entre moi et ma peur au ventre d'enfant terrifiée.  Un mystère a dû  s'installer tant bien que mal dans une faille de ma mémoire. Toutefois, ce n'est qu'aujourd'hui que je me demande si cet événement aurait bien pu m'amener à agir de la sorte,  avec ma petite soeur.  Qui sait? 

Enfin,  pendant tout ce temps, un ange gardien veillait sur moi.  La preuve, c'est que je suis encore là. Alors que dans ce passé embrumé par ce mauvais souvenir d'enfance,  on aurait pu retrouver mon petit cadavre enterré quelque part sous la neige pendant tout un hiver,  et sans doute la moitié d'un printemps.  

2è mise à jour: 18 février 2017

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Chère Denyse,

À moi de te dire que j'ai apprécié notre rencontre et la confiance que tu m'as témoignée.
Tant mieux si tu as réussi à mettre un peu d'ordre dans ces souvenirs chargés d'émotion. C'est souvent un besoin pressant que de donner un sens aux événements, de mettre de la cohérence dans nos histoires, récentes et anciennes.

Je t'invite encore à accueillir avec bienveillance la petite Denyse de 6 ans et de ses besoins... Avec la même curiosité et le même intérêt que tu aurais à retrouver un vêtement ancien t'ayant appartenu, comme par exemple, ta robe de première communiante. Ce vêtement susciterait ton intérêt, une remise en contexte, tu l'examinerais sous toutes ses coutures jusqu'à ce que t'en viennes à te demander quoi en faire, comment en disposer. C'est aussi cela, des souvenirs d'enfants : du matériel intéressant mais souvent encombrant !

Permets-moi de te mettre en garde face à la tentation de contempler avec trop d'insistance et de manière obsessive un épisode, douloureux certes, mais pour lequel nul ne peut rien y changer. Et dont on ne saura jamais évaluer les conséquences, ni même s'il y en a eu. Ce dont je suis certaine par ailleurs, c'est que personne ne vient sur Terre avec la garantie qu'il sera épargné par les épreuves ou injustices.

Ne bouscule rien ni personne... apprivoise... et quand tu seras prête, il sera possible d'en partager les fruits avec ta soeur... sachant que dans une maison surpeuplée située dans la trop vaste Abitibi, dans le froid d'un hiver suivant la Seconde Guerre, de petites filles apprenaient les codes de survie, dans la nuit.

En toute amitié

 Dxx

3è mise à jour: 22 février 2017

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